L'Esclopièr - Le Sabotier

 
Introduction Marcel Croute
Etude d'Yvette Souquières
 
Le sabot fait d’une seule pièce de bois, est prisé des régions rurales ; seul le sabotier connaît l’art de les sculpter, les garnir de cuir, les clouter pour les renforcer. L’origine du sabot est mal connue, les bûcherons en seraient les créateurs. Le patron des sabotiers Saint René, évêque d’Angers, serait selon la légende le premier sabotier. Lassé de ce monde, il se serait retiré dans la solitude à Sorrente en Italie vers l’an 440 et façonna les premiers sabots
 
 

Au Moyen-âge, on trouve mention de fabricants de sabots lors des foires, son port est limité aux bûcherons et aux habitants de régions froides, neigeuses ou argileuses. 

Le sabot est économique, solide et pratique; il protège du froid et de l’humidité.
Au XVIIIème siècle, les sabotiers comme les charbonniers vivent aux abords des forêts dans une cabane qu’il construisait sur place, il y reste tout ou partie de l’année pour choisir les pièces de bois, les dégrossir et ébaucher la forme. Les plus aisés ont leur échoppe dans le village, c’est ce qui se généralise au XIXème siècle. En effet ce métier se réglemente et les ateliers ont obligation d’être situés à une distance d’au moins une demi-lieue des forêts.   

Le Sabot connaît sa période faste du XIXème jusqu’à la Grande Guerre, puis le déclin s’amorce avec l’apparition des chaussures caoutchoutées. En 1950 la généralisation de l’usage du tracteur pour lequel les bottes sont plus adaptées, donne le coup de grâce aux sabotiers.

 
La Fabrication des Sabots

LA BELLE OUVRAGE

Jusqu'à la moitié du XXe siècle, l'esclopièr ou sabotier a été un artisan prisé dans nos régions. Bourgeois, paysans, artisans, brassiers confiaient leurs pieds au sabotier et lui accordaient toute leur confiance tant pour la qualité que pour le confort.

Chaque village a son sabotier qui confectionne lous esclops ( les sabots ) de la communauté. Extraire chaussure à son pied d'un morceau de bois n'est pas à la portée du premier venu. Le sabotier est un artisan adroit, qui connaît " les caprices " des différentes essences et utilise una espleita ( un outillage ) relativement considérable. Toutes les essences de nos régions peuvent être utilisées pour fabriquer des sabots, même le pin et le sapin. Toutefois, les arbres préférés sont le frêne, le hêtre, le tilleul, le noyer, surtout le bouleau à cause de sa légèreté. Règle absolue : le sabot est toujours façonné à partir d'un bloc de bois vert, préalablement tronçonné à l'aide du torçadis ( passe-partout ) ou de la rassège ( scie de bûcheron). Pour éviter qu'elle ne se fende lors du creusement, la bille est débitée en deux ou quatre quartiers. Pour les arbres de faible diamètre, cette opération est inutile mais le sabotier devra oeuvrer avec douceur, d'une main légère, pour éviter tout éclatement intempestif. Le sabot, chaussure saine, protégeait du froid et de l'humidité. Certains achetaient des sabots d'une pointure supérieure pour l'hiver car ils les garnissaient de paille ou de foin. D'autres y enfilaient des feutres ou des chaussons. La fabrication était familiale. Pour vivre, le sabotier fabriquait 4 ou 5 paires de sabots par jour. Plusieurs mois de séchage permettaient au bois de durcir et il fallait toujours avoir un stock d'avance.
 
La gamme des produits

Sabot tout bois

 

Sabot bois avec dessus raccourci et recouvert d'une bride de cuir.

Galoches avec dessus et talon de cuir. Galoches montées avec une tige de cuir et des lacets pour la neige Socques pour femmes : sabots plats avec dessus cuir percé de trous. Petits sabots vernis pour enfants.

 
L'atelier du sabotier
Outre les outils proprement dits, de dimension modeste, le sabotier dispose d'établis en bois.

 

lou banc del paradoun (le plot ou support du paroir) :

a : l'anèl (anneau)
b : lou paradoun (le paroir)
c : las cotsas (les encoches)

La stabilité de l'établi est assurée par trois pieds. Il a été scié dans un tronc de chêne, au niveau d'une grosse branche qui, vaguement équarrie, sert de plateau sur lequel est enfoncé un anèl (anneau) pouvant se déplacer verticalement et pivoter selon un angle de 360°. Ce piton reçoit l'extrémité en U du paradoun (paroir). Grâce aux combinaisons des mouvements du crochet et de la boucle, le paroir peut travailler dans tous les plans horizontaux et verticaux : une petite merveille, supérieure à une articulation à cardan. La surface du plateau présente des cotsas (encoches) destinées à assurer une meilleure préhension de la pièce de bois à travailler que l'ouvrier tient de la main gauche.

Des sabotiers du Cantal devant leur atelier. Les outils sont sur la porte. Le banc du paroir est différent.

 

lou banc per curar (l'établi pour creuser) :

e : lei traucs ( trous porte-outils )
f : la cotsa ( l'encoche )
g : los combassouns ( les petits coins )
h : lei anèls (les anneaux)

Un sabotier creusant un sabot sur le banc à creuser ->

Il a des pieds supportant un tronc de pin dont le milieu et les extrémités sont équarris sur une longueur de 40 centimètres environ. De part et d'autre, trois trous cylindriques, ainsi que deux anneaux porte-outils, permettent le rangement du petit outillage. La partie médiane, en forme de large entaille, constitue une sorte d'étau à mâchoires fixes. Le serrage du sabot ébauché est assuré par un jeu de conhassouns (petits coins). Ces martyrs sont en bois très dur pour résister aux coups de malhè (maillet). Leur nombre est fonction de la largeur de la chaussure.
 

lou banc de rafinar ( l'établi pour la finition ) :

j : lou setge ( le siège )
k : la cremalhièra ( la crémaillère )
l : lou chagoun
m : lou bras ( bras mobile, actionné du pied )

C'est un plateau bas monté sur trois pieds dont l'arrière sert de siège au sabotier. Un montant fixe, chevillé, de 40 centimètres de hauteur, présente à sa partie supérieure une cupule armée de quatre pointes sans tête. Vers l'avant, une mortaise crantée reçoit un bras, mobile dans un plan vertical grâce à un axe. Celui-ci prend appui sur deux crans opposés de la crémaillère, l'écartement étant donné par la longueur du sabot bloqué entre les mâchoires, talon vers l'arrière.

Le serrage s'effectue par action du pied sur une tige placée à la partie inférieure du levier. La partie supérieure de ce bras est garnie d'une série d'évidements permettant de travailler le bois dans diverses positions.

Les bancs servant d'établi étaient situés face à la fenêtre pour un éclairage maximum.

Par terre, les copeaux s'amoncelaient, isolant du froid les pieds du sabotier ; ils permettaient d'allumer ou de raviver les flammes de l'âtre. Quelquefois pendant la creuse, le dessus d'un sabot éclatait ; résigné, le sabotier le jetait au feu : un travail qui partait en fumée...

On pouvait voir au plafond, suspendus à de grosses pointes, les paires de sabots terminés.

 
Les outils
Les outils pendaient accrochés à des chevilles fixées au mur ou à la porte de l'établi, d'autres à une barre fixée entre deux poutres du plafond.

L'apchala - la hache

l'armènetta - l'herminette (hache recourbée permettant de galber)

- La tarière permet de percer le bois et ouvrir le chemin des cuillères.
- La talonnière creuse l'intérieur du talon.
- La rouanne et le boutoir creusent la pointe du sabot.
- L'étalon (la bouro) graduée donne la pointure.
- La griffe, en forme de gouge, sert à creuser la rainure pour clouer le cuir.
- Le racloir, lame d'acier souple et affûtée permet la finition du dessus.

La rainette ou grattoir sert à lisser l'intérieur du pied du sabot.

Le paroir : longue lame d'acier tranchante accrochée par une boucle au banc ou billot ; le long manche de bois en équille permet de développer un important effet de levier pour sectionner, pour travailler sous différents angles et pour profiler les semelles. Il mesure 60 cm de long pour une largeur variant entre 7 et 10 cm.

La tagoneira. Le doloire ou bûcheuse : sorte de hache à large tranchant ayant un manche déjeté à droite pour les droitiers ou à gauche pour les gauchers.

Le maillet

 

3: l'ariroun (tarière)

4 : la culhièr (cuillère). Les cuillères de différents diamètres creusent l'intérieur du sabot.

 
Fabrication des sabots

Préparation des quartiers : le fût est scié en billes ou billots ; les billots sont fendus en quartiers à l'aide d'une hache au tranchant court et épais. L'artisan trie les quartiers et les range par paires.

Le sabot est d'abord dégrossi au doloire.

Quand la sole est bien d'aplomb, le sabotier accroche le paroir à l'anneau de l'établi : la semelle s'ébauche à chaque passage de la lame effilée. Des coupes verticales viennent délimiter le talon et la cambrure de la semelle se dessine. Seul le coup de poignet guide la lame.

Avec l'herminette, le nez est ébauché et l'entrée du pied dégagée en quelques éclats.

Les futurs sabots bien calés entre les taquets, le sabotier perce avec la tarière.

 

La cuillère creuse le talon puis s'enfonce pour faire le pied. Les deux sabots sont traités simultanément pour qu'ils soient semblables.

Le museau est fini au paroir, modelé tantôt large et saillant, tantôt relevé, parfois épanoui, ou rond, ou pointu. Chaque terroir a ses fantaisies.

 

 

Le grattoir permet de lisser l'intérieur afin qu'aucune aspérité ne vienne blesser le pied.

Les dernières finitions : rectifier les possibles retraits du bois, effacer toute trace d'outils.

 

Certains sabots sont complétés d'un dessus de cuir. Son dessus, raccourci, se vêt d'un aron ou d'une brida en cuir, plus souple, au contact moins rude. En altitude, les hivers neigeux obligent le paysan à inventer los esclops garnits, avec des houseaux de cuir, à laçage frontal, cloués sur l'empeigne et le talon. Parfois la semelle se hérisse de crampons taillés dans la masse, qui évitent les glissades.

Quelques artisans ornent le dessus de dessins sculptés à la gouge.

Il y a aussi les clients difficiles, qui souffrent de malformations du pied : tel a les orteils recroquevillés, tel autre des cors, un troisième le coup-de-pied sensible, ou des oignons. Qu'à cela ne tienne ! Le sabotier creuse, rectifie, à la demande. Après quelques essayages, tout un chacun trouve sabot à son pied. De la chaussure vraiment sur mesure, à la portée de toutes les bourses.

D'un regard, le sabotier évaluait la qualité de son travail.

 

Les sabots sont rangés au grenier pour les y faire sécher trois ou quatre mois, selon le besoin. Jamais on ne monte des pièces inachevées : sèches, il aurait été trop difficile d'en terminer la creuse.

Naissance d'un sabot
un rondin de bouleau rondin équarri à la hache
puis à l'herminette
dégrossi au paroir
enfin creusé
il peut recevoir une bride en cuir
ou à laçage frontal pour affronter la neige
morla au talon et semelle en tôle fixée par des tachouns
 
Faire durer les sabots

Divers procédés permettaient aux sabots de ne pas fendre au séchage :

  • en les enduisant d'une teinture à base de noir de fumée
  • en les frottant avec des gousses d'ail
  • en les badigeonnant à l'huile de lin
  • en les cuisant à la vapeur sur le dessus d'une chaudière remplie de pommes de terre, de betteraves et de choux  ( la bacade ) du porc de la maison.

Les habitants du bourg faisaient " ferrer " leurs sabots avec des ferrures Wood-Mine en caoutchouc : silence et confort.

Les cultivateurs préféraient du résistant : ils allaient voir le forgeron qui usinait des talons métalliques fixés par trois pointes dans les oreilles de fer. Ces morla emprisonnaient le talon et le garantissaient à la fois de l'usure et de l'éclatement.

Pour la semelle, deux techniques prévalent : une plaquette de fer, en forme d'ogive, ou une tôle récupérée dans une boîte de conserve. La fixation se faisait à l'aide de tachouns (clous) à tête ronde. L'inconvénient de ces ferrures réside dans le fait qu'elles " attrapent " la neige ; il faut interrompre la marche pour dessocar (détacher le bloc de neige).

Certains découpaient de vieux pneus d'auto et clouaient ces semelles inusables.

Talon de fer

Ferrure caoutchouc

Epilogue

Le sabotier fabrique le sabot tout en bois (1)

 

il fait aussi des sabots à talons de bois et dessus cuir (2)

 

des galoches et socques à semelle bois et dessus cuir 3)

1

2

3

Le sabot ne devait pas survivre à la moitié du XXe siècle. La saboterie artisanale subissait un net déclin avec l'arrivée de la saboterie industrielle. Le prix de revient baissait avec la qualité. Les acheteurs attirés par les prix intéressants voyaient les talons éclater et les semelles se fendre.

En 1938-1939, la botte et le sabot de caoutchouc synthétique envahissent le marché. La guerre redonne un peu de travail aux sabotiers. A la fin du conflit, l'arrivée des " godasses " des surplus américains, puis la production massive de bottes et de sabots en PVC condamnent définitivement la saboterie.

Los esclops
Quant te costeren, (ter)
Tos esclops ?
Quand eren (ter)
Niöus.

Les sabots
Combien te coûtèrent
Tes sabots ?
Quand ils étaient
Neufs

YS2002-MC2009
Evènements