Une tragédie à Decazeville
La mort de Jules Watrin, sous-directeur des mines de Decazeville reflète une période dramatique
Yvette SOUQUIERES
Le 26 janvier 1886, 2.000 mineurs de Decazeville, dans l'Aveyron, font grève. Ils s'en prennent au sous-directeur de la mine, l'ingénieur Jules Watrin, à l'origine d'une baisse de leurs salaires, et le défenestrent. La victime décède de ses blessures et devient un martyr aux yeux des patrons.
La compagnie minière en appelle à l'armée. Elle promet également aux mineurs de réviser leurs salaires à la hausse mais dès le mois de février revient sur ses promesses. La grève reprend. Elle va durer jusqu'en juin de la même année.
L'opinion se divise. À la Chambre, le député républicain opportuniste Jean Jaurès, fraîchement élu, reproche à ses collègues socialistes de faire l'apologie de l'assassinat en soutenant les grévistes ! Le ministre de la guerre, le général Georges Boulanger, qui a envoyé la troupe, exprime maladroitement son embarras face à la répression : « Ne vous en plaignez pas. Car peut-être à l'heure où je vous parle, chaque soldat partage-t-il avec un mineur sa soupe et sa ration de pain », déclare-t-il à la tribune de la Chambre.
Rentrant de cinq années à Paris, où il fut garçon de restaurant, Antoine Souquières est depuis le mois de juillet 1885 manoeuvre à la mine. Il fait partie du groupe de grévistes qui s'en prend physiquement au sous-directeur. Il sera poursuivi en cour d'assises avec 9 autres ouvriers pour meurtre et complicité de meurtre.
Mandat avait été donné à Jules WATRIN de réduire fortement les coûts salariaux et les coûts de fonctionnement par tous les moyens. Ces salaires étaient passés de 150 à 200 francs par mois en 1878 à 33 francs en 1886. Une enquête fut ordonnée sur les agissements indélicats de Watrin à l'égard des ouvriers. C'est alors qu'on découvrit le pot-aux-roses. Selon un contrat conclu secrètement avec la Compagnie des Houillères et Fonderies de l'Aveyron, Watrin touchait un pourcentage de 10% sur la réduction progressive des salaires ! Cette révélation provoqua la démission du président de la Compagnie, M. Léon Say, ancien ministre des Finances.
Les mesures de sécurité et de protection des mineurs avaient été fortement réduites. La Compagnie mélangeait également les choses en faisant pression sur les mineurs pour qu'ils votent pour les candidats royalistes.
La situation était donc explosive en ce début d'année 1886, avec une nouvelle baisse des salaires de 34 % et la mise en place d'un système encore plus pénalisant de retenues sur salaires. Ceci provoqua l'intervention des Collectivités et du Préfet auprès de la direction des Houillères pour les inviter à une meilleure politique sociale.
Le 26 janvier 1886, à l'arrivée des bulletins de paye, quatre mineurs se mettent en grève. Beaucoup de mineurs abattus n'attendaient que l'étincelle. Une centaine part alors faire le tour des puits du Bassin. La Direction de la Mine et des Forges, qui auparavant refusait toute conciliation, accepta une prise en compte de certaines revendications des ouvriers. La troupe de grévistes grossit de minute en minute. Des bagarres s'engagent avec les maitres mineurs, les grévistes coupent le câble de descente à la mine. A midi, la grève est générale.
La foule grossit autour des bureaux de la direction. Les dirigeants se réfugient à la mairie. Les revendications sont présentées :
- Journée de travail fixée à 5 francs pour les mineurs, boiseurs et piqueurs, 3,75 pour les manoeuvres.
- Journée de travail réduite à huit heures pour cause des mauvais airs et feux de la mine.
- Aucune sanction contre les délégués de cette grève.
- Réintégration des grévistes de 1878.
- Travail des ouvriers payé toutes les quinzaines.
- Départ du sous-directeur.
Le Procureur de la République, le sous-préfet, l'ingénieur du gouvernement, l'ingénieur en chef des mines, le commissaire de police, des gardes du corps... quittent la mairie. Il leur suffit de traverser la place pour comprendre que l'ambiance est très tendue ; aussi, ils se réfugient dans un bâtiment.
Les femmes de mineurs arrivent, lasses de misère et de souffrances, usées par le travail et vieillies avant l'âge... Les cris de révolte redoublent... Une échelle est dressée qui permet aux manifestants de pénétrer dans les lieux. Watrin maintient son arrogance et n'accepte qu'une seule revendication. C'est l'explosion. Jules Watrin est pris à partie physiquement, griffé, piétiné et défenestré. Il décèdera un peu plus dans la soirée.
La cavalerie et l'infanterie occupent la ville et les puits. Les arrestations de grévistes se multiplient. Le 29 janvier, le travail reprit sur quelques promesses de la direction, qu'elle s'empressa de trahir. Comptant sur l'armée et sur la répression pour imposer une défaite totale aux ouvriers, elle réduisit encore les salaires. Du coup, la grève reprit le 25 février, et elle devait durer jusqu'au 14 juin.
Le conflit prend une ampleur nationale, et oppose tout le pays. La presse nationale s'en prend aux mineurs de Decazeville : L'Illustration, Le Gaulois, Le Français, Le Matin, Le Pèlerin... Les grands noms de gauche tentent de les défendre: Jules Guesde, Louise Michel interviennent. L'Aveyron Républicain commence la publication par épisode de Germinal. Les premiers journaux socialistes défendent les mineurs, en particulier Le Cri du Peuple.
Finalement, la direction des mines de Decazeville céda sur les salaires le 12 juin et le travail reprit le 14. Mais les poursuites contre les grévistes continuèrent. Du 15 au 20 juin, la cour d'assises de Rodez jugea neuf ouvriers et une ouvrière accusés de la mort de jules Watrin. Six furent acquittés dont Antoine Souquières, mais quatre condamnations tombèrent: 8 ans de travaux forcés, 5, 6 et 7 ans de réclusion.
Jules Watrin fut enterré mais ses ouvriers refusèrent de se découvrir au passage de son cercueil. La mort du sous-directeur amena la grande grève des mineurs de Decazeville, Aubin, Firmi et indirectement la montée du socialisme en France.
GSDS-YS2016
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